• Autour de ma maison Emile Verhaeren

     

    Pour vivre clair, ferme et juste,
    Avec mon coeur, j’admire tout
    Ce qui vibre, travaille et bout
    Dans la tendresse humaine et sur la terre auguste.

    L’hiver s’en va et voici mars et puis avril
    Et puis le prime été, joyeux et puéril.
    Sur la glycine en fleurs que la rosée humecte,
    Rouges, verts, bleus, jaunes, bistres, vermeils,
    Les mille insectes
    Bougent et butinent dans le soleil.
    Oh la merveille de leurs ailes qui brillent
    Et leur corps fin comme une aiguille
    Et leurs pattes et leurs antennes
    Et leur toilette quotidienne
    Sur un brin d’herbe ou de roseau !
    Sont-ils précis, sont-ils agiles !
    Leur corselet d’émail fragile
    Est plus changeant que les courants de l’eau ;
    Grâce à mes yeux qui les reflètent
    Je les sens vivre et pénétrer en moi
    Un peu ;
    Oh leurs émeutes et leurs jeux
    Et leurs amours et leurs émois
    Et leur bataille, autour des grappes violettes !
    Mon coeur les suit dans leur essor vers la clarté,
    Brins de splendeur, miettes de beauté,
    Parcelles d’or et poussière de vie !
    J’écarte d’eux l’embûche inassouvie :
    La glu, la boue et la poursuite des oiseaux
    Pendant des jours entiers, je défends leurs travaux ;
    Mon art s’éprend de leurs oeuvres parfaites ;
    Je contemple les riens dont leur maison est faite
    Leur geste utile et net, leur vol chercheur et sûr,
    Leur voyage dans la lumière ample et sans voile
    Et quand ils sont perdus quelque part, dans l’azur,
    Je crois qu’ils sont partis se mêler aux étoiles.

    Mais voici l’ombre et le soleil sur le jardin
    Et des guêpes vibrant là-bas, dans la lumière ;
    Voici les longs et clairs et sinueux chemins
    Bordés de lourds pavots et de roses trémières ;
    Aujourd’hui même, à l’heure où l’été blond s’épand
    Sur les gazons lustrés et les collines fauves,
    Chaque pétale est comme une paupière mauve
    Que la clarté pénètre et réchauffe en tremblant.
    Les moins fiers des pistils, les plus humbles des feuilles
    Sont d’un dessin si pur, si ferme et si nerveux
    Qu’en eux
    Tout se précipite et tout accueille
    L’hommage clair et amoureux des yeux.

    L’heure des juillets roux s’est à son tour enfuie,
    Et maintenant
    Voici le soleil calme avec la douce pluie
    Qui, mollement,
    Sans lacérer les fleurs admirables, les touchent ;
    Comme eux, sans les cueillir, approchons-en nos bouches
    Et que notre coeur croie, en baisant leur beauté
    Faite de tant de joie et de tant de mystère,
    Baiser, avec ferveur, délice et volupté,
    Les lèvres mêmes de la terre.

    Les insectes, les fleurs, les feuilles, les rameaux
    Tressent leur vie enveloppante et minuscule
    Dans mon village, autour des prés et des closeaux.
    Ma petite maison est prise en leurs réseaux.
    Souvent, l’après-midi, avant le crépuscule,
    De fenêtre en fenêtre, au long du pignon droit,
    Ils s’agitent et bruissent jusqu’à mon toit ;
    Souvent aussi, quand l’astre aux Occidents recule,
    J’entends si fort leur fièvre et leur émoi
    Que je me sens vivre, avec mon coeur,
    Comme au centre de leur ardeur.

    Alors les tendres fleurs et les insectes frêles
    M’enveloppent comme un million d’ailes
    Faites de vent, de pluie et de clarté.
    Ma maison semble un nid doucement convoité
    Par tout ce qui remue et vit dans la lumière.
    J’admire immensément la nature plénière
    Depuis l’arbuste nain jusqu’au géant soleil
    Un pétale, un pistil, un grain de blé vermeil
    Est pris, avec respect, entre mes doigts qui l’aiment ;
    Je ne distingue plus le monde de moi-même,
    Je suis l’ample feuillage et les rameaux flottants,
    Je suis le sol dont je foule les cailloux pâles
    Et l’herbe des fossés où soudain je m’affale
    Ivre et fervent, hagard, heureux et sanglotant.


  • Commentaires

    1
    Samedi 9 Mars à 09:29

    très ravissante création

    et superbe texte

    bonjour Béatrice

    c est avec un ciel très couvert

    que j arrive chez toi

    afin de te souhaiter

    un très bon week-end

    bises

     

    2
    Samedi 9 Mars à 17:38

    MAGNIFIQUE !  bisous et douce soirée Beatrice 

    Suivre le flux RSS des commentaires


    Ajouter un commentaire

    Nom / Pseudo :

    E-mail (facultatif) :

    Site Web (facultatif) :

    Commentaire :