• Cantique sur un rayon de soleil Alphonse de Lamartine

     

    Je suis seul dans la prairie
    Assis au bord du ruisseau ;
    Déjà la feuille flétrie,
    Qu’un flot paresseux charrie,
    Jaunit l’écume de l’eau.

    La respiration douce
    Des bois au milieu du jour
    Donne une lente secousse
    A la vague, au brin de mousse,
    Au feuillage d’alentour.

    Seul et la cime bercée,
    Un jeune et haut peuplier
    Dresse sa flèche élancée,
    Comme une haute pensée
    Qui s’isole pour prier.

    Par instants, le vent qui semble
    Couler à flots modulés
    Donne à la feuille qui tremble
    Un doux frisson qui ressemble
    A des mots articulés.

    L’azur où sa cime nage
    A balayé son miroir,
    Sans que l’ombre d’un nuage
    Jette au ciel une autre image
    Que l’infini qu’il fait voir.

    Ruisselant de feuille en feuille,
    Un rayon répercuté,
    Parmi les lis que j’effeuille,
    Filtre, glisse, et se recueille
    Dans une île de clarté.

    Le rayon de feu scintille
    Sous cette arche de jasmin,
    Comme une lampe qui brille
    Aux doigts d’une jeune fille
    Et qui tremble dans sa main.

    Elle éclaire cette voûte,
    Rejaillit sur chaque fleur ;
    La branche sur l’eau l’égoutte ;
    L’aile d’insecte et la goutte
    En font flotter la lueur.

    A ce rayon d’or qui perce
    Le vert grillage du bord,
    La lumière se disperse
    En étincelle, et traverse
    Le cristal du flot qui dort.

    Sous la nuit qui les ombrage,
    On voit, en brillants réseaux,
    Jouer un flottant nuage
    De mouches au bleu corsage
    Qui patinent sur les eaux.

    Sur le bord qui se découpe,
    De rossignols frais éclos
    Un nid tapissé d’étoupe
    Se penche comme une coupe
    Qui voudrait puiser ses flots.

    La mère habile entre-croise
    Au fil qui les réunit
    Les ronces et la framboise,
    Et tend, comme un toit d’ardoise.
    Ses deux ailes sur son nid.

    Au bruit que fait mon haleine,
    L’onde ou le rameau pliant,
    Je vois son œil qui promène
    Sa noire prunelle pleine
    De son amour suppliant.

    Puis refermant, calme et douce,
    Ses yeux sous mes yeux amis,
    On voit à chaque secousse
    De ses petits sur leur mousse
    Battre les cœurs endormis.

    Ce coin de soleil condense
    L’infini de volupté.
    O charmante Providence !
    Quelle douce confidence
    D’amour, de paix, de beauté !

    Dans un moment de tendresse,
    Seigneur, on dirait qu’on sent
    Ta main douce qui caresse
    Ce vert gazon, qui redresse
    Son poil souple et frémissant !

    Tout sur terre fait silence
    Quand tu viens la visiter ;
    L’ombre ne fuit ni n’avance :
    Mon cœur même qui s’élance
    Ne s’entend plus palpiter !

    Ma pauvre âme, ensevelie
    Dans cette mortalité,
    Ouvre sa mélancolie,
    Et comme un lin la déplie
    Au soleil de ta bonté.

    S’enveloppant tout entière
    Dans les plis de ta splendeur,
    Comme l’ombre à la lumière
    Elle ruisselle en prière,
    Elle rayonne en ardeur !

    Oh ! qui douterait encore
    D’une bonté dans les cieux,
    Devant un brin de l’aurore
    Qui s’égare et fait éclore
    Ces ravissements des yeux ?

    Est-il possible, ô nature !
    Source dont Dieu tient la clé,
    Où boit toute créature,
    Lorsque la goutte est si pure,
    Que l’abîme soit troublé ?

    Toi qui dans la perle d’onde,
    Dans deux brins d’herbe plies,
    Peux renfermer tout un monde
    D’un bonheur qui surabonde
    Et déborde sur tes pieds,

    Avare de ces délices
    Qu’entrevoit ici le cœur !
    Peux-tu des divins calices
    Nous prodiguer les prémices
    Et répandre la liqueur ?

    Dans cet infini d’espace.
    Dans cet infini de temps,
    A la splendeur de ta face,
    O mon Dieu ! n’est-il pas place
    Pour tous les cœurs palpitants ?

    Source d’éternelle vie,
    Foyer d’éternel amour,
    A l’âme à peine assouvie
    Faut-il que le ciel envie
    Son étincelle et son jour ?

    Non, ces courts moments d’extase
    Dont parfois nous débordons
    Sont un peu de miel du vase,
    Écume qui s’extravase
    De l’océan de tes dons !

    Elles y nagent, j’espère,
    Dans les secrets de tes cieux,
    Ces chères âmes, ô Père,
    Dont nous gardons sur la terre
    Le regret délicieux !

    Vous, pour qui mon œil se voile
    Des larmes de notre adieu,
    Sans doute dans quelque étoile
    Le même instant vous dévoile
    Quelque autre perle de Dieu !

    Vous contemplez, assouvies,
    Des champs de sérénité,
    Ou vous écoutez, ravies,
    Murmurer la mer des vies
    Au lit de l’éternité !

    Le même Dieu qui déploie
    Pour nous un coin du rideau
    Nous enveloppe et nous noie,
    Vous dans une mer de joie,
    Moi dans une goutte d’eau !

    Pourtant mon âme est si pleine,
    O Dieu ! d’adoration,
    Que mon cœur la tient à peine,
    Et qu’il sent manquer l’haleine
    A sa respiration !

    Par ce seul rayon de flamme,
    Tu m’attires tant vers toi,
    Que si la mort de mon âme
    Venait délier la trame,
    Rien ne changerait en moi ;

    Sinon qu’un cri de louange
    Plus haut et plus solennel,
    En voix du concert de l’ange
    Changerait ma voix de fange,
    Et deviendrait éternel !

    Oh ! gloire à toi qui ruisselle
    De tes soleils à la fleur !
    Si grand dans une parcelle !
    Si brûlant dans l’étincelle !
    Si plein dans un pauvre cœur !

    Alphonse de Lamartine, Recueillements poétiques, 1839


  • Commentaires

    1
    Dimanche 24 Avril 2022 à 21:11

    j'adore ta création ma pomponette les personnages les couleurs tout est bien choisi.

    même le choix de ton poème il est très beau bravo . je te fais un gros bisous

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