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    Recueil : Le coffret de santal (1873)

    Une salle avec du feu, des bougies,

    Des soupers toujours servis, des guitares,

    Des fleurets, des fleurs, tous les tabacs rares,

    Où l'on causerait pourtant sans orgies.

     

    Au printemps lilas, roses et muguets,

    En été jasmins, oeillets et tilleuls

    Rempliraient la nuit du grand parc où, seuls

    Parfois, les rêveurs fuiraient les bruits gais.

     

    Les hommes seraient tous de bonne race,

    Dompteurs familiers des Muses hautaines,

    Et les femmes, sans cancans et sans haines,

    Illumineraient les soirs de leur grâce.

     

    Et l'on songerait, parmi ces parfums

    De bras, d'éventails, de fleurs, de peignoirs,

    De fins cheveux blonds, de lourds cheveux noirs,

    Aux pays lointains, aux siècles défunts.

     

     

    Charles Cros


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  • Ici-bas, oh ! vraiment c'est une étrange chose :

    Quand on souffre le plus, on prend un air joyeux ;

    Quand on porte en son sein le cœur le plus morose,

    On met, pour le cacher, un sourire en ses yeux.

     

    De sa peine chacun meurt, et personne n'ose

    Ôter à son chagrin son voile insoucieux ;

    Homme, on veut être gai comme un enfant bien rose,

    Et l'on refoule en soi sa douleur de son mieux.

     

    Dans ce monde d'oubli, voilà, voilà l'usage !

    Mais qu'on n'aille donc pas nous juger au visage,

    Ni prendre pour du vrai tout ce clinquant moqueur !

     

    Comme un arbre fleurit et verdit à l'écorce

    Quand son vieux tronc creusé penche et tremble sans force,

    On sourit au dehors, et l'on est mort au cœur.

     

     

    Évariste Boulay-Paty

     


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    Notre âme est un soleil qui resplendit en nous.

    Flamboyante inconnue, à travers la prunelle

    Elle darde l'éclat des feux qui sont en elle,

    Vous éblouit, vous trouble en se fixant sur vous.

     

    Elle éclôt nos pensers et les parfume tous,

    Et mûrit dans nos cœurs, lumière solennelle,

    Atome détaché de la flamme éternelle,

    Les plus belles moissons et les fruits les plus doux.

     

    Les nuages des sens parfois la découronnent,

    Les brumeuses vapeurs du doute l'environnent,

    Mais elle est toujours là sous ce brouillard humain ;

     

    Et lorsqu'à l'horizon de la vie elle tombe,

    Large et pâle au couchant, dans la nuit de la tombe,

    C'est pour y préparer son brillant lendemain !

     

     

    Évariste Boulay-Paty

     


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    La vie est une fleur qui s'épanouit lentement

    Un a un ouvre ses pétales, éclatante de beauté

    Puis doucement s'éteint et se fane.

    Les gouttes de rosée viennent caresser le bourgeon

    Recroquevillé tel un foetus.

    Puis dans un cri s'arrache du ventre de la terre,

    Sa mère nourricière.

    Dans l'éclat du petit matin hésite, tremblante et s'ouvre,

    Réchauffée par la lumière et les premiers rayons du soleil.

    Bercée tendrement par la douceur du vent printanier

    Laissant couler les dernières larmes de pluie

    Sur sa robe encore froissée.

    Protégée par sa fragilité et sa beauté éphémère

    Comme l'enfant, petit être naïf et innocent

    Frêle, émerveillée, lentement se redresse et grandit

    Découvre la vie, s'émerveille et s'épanouit

    Puis rebelle, tête haute brave les forces et les tempêtes

    Adulte, trace son chemin, se résigne

    Accepte son destin

    Lentement regarde sa vie,

    S'accroche au passé

    Mais l'avenir défile droit devant

    Et paisible elle s'éteint

    Epargnée par sa fragile nature

    Des agressions qui auraient pu l'anéantir.

    La main innocente qui arrache la beauté de cette fleur

    Ou la haine qui l'écrase de sa botte

    Douloureusement se replie et se recroqueville

    Dans une pluie, verse ses larmes fécondes

    Nourrit la terre de sa source.

     

     

    Christelle David

     


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    Ô jeunes hommes ! notre joie,

    Vous ne la connaissez point,

    De voir, comme un bouton rougeoie,

    Le printemps qui point.

     

    Quand le soleil, tout jeune, dore

    Les toits hier pluvieux,

    Une aube de jeunesse encore

    Rit au cœur des vieux.

     

    Il ranime, par la fenêtre

    Que l'on se hâte d'ouvrir,

    Du frisson de ce qui va naître

    Ce qui va mourir ;

     

    Lui, par qui tant de fleurs écloses

    Enchanteront les pourpris,

    Il évoque d'anciennes roses

    À nos fronts flétris,

     

    Et, quand l'or de sa gloire abonde,

    Aux miroirs que nous fuyons

    Nous fait la chevelure blonde

    Avec ses rayons.

     

    C'est pour nous qu'il chasse les brumes !

    En l'hiver blanc de glaçons

    Vous mêlez aux toux de nos rhumes

    Des bruits de chansons ;

     

    Qu'il vente ou qu'il neige, n'importe !

    Sans trêve, en vos jeunes cœurs,

    Triomphe l'ardeur douce et forte

    Des juillets vainqueurs ;

     

    Vous connaissez, lèvres ignées,

    Les baisers jamais finis,

    Même quand les fleurs sont fanées

    Et vides les nids.

     

    À ceux que l'hiver ensommeille

    Il faut l'avril de retour

    Pour qu'en eux s'ouvre, fleur vermeille,

    L'amour de l'amour.

     

    Mais, alors, la douceur est telle

    D'être si rare, on la sent

    Si divine d'être mortelle

    Presque en renaissant,

     

    Que notre âme illusionnée

    Ne voudrait pas changer pour

    Votre été de toute l'année

    Nos printemps d'un jour !

     

     

    Catulle Mendès

     


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